samedi 17 décembre 2011

Perplexité, interrogations.

Il y a tout juste un an, l'immolation d'un habitant de Sidi Bouzid provoquait la révolte du peuple tunisien, principalement de la jeunesse excédée par des années de dictature et de spoliation de son avenir.
Très rapidement, sans leader de quelque obédience que ce soit, elle arrivait à chasser le despote qui l’opprimait depuis 23 ans!
Tous les espoirs étaient alors permis. La parole était libérée (alors que toute opposition verbale ou dans les actes avaient été très durement réprimée). Un grand souffle de liberté parcourait toutes les couches de la population. Chacun pouvait enfin s'exprimer, débattre sans risque d'être sanctionné. Tous, nous rêvions d'un avenir meilleur et de démocratie après de si longues années de dictature!

Les opposants à l'ancien régime étaient libres de revenir, un nouvel horizon semblait s'ouvrir.....
Un an après, que reste-il de ces espoirs?
Des élections, pour la première fois plurielles, ont été organisées et l'enthousiasme de pouvoir enfin exercer un droit démocratique était grand. Une nouvelle constitution devait être élaborée et le multipartisme était enfin permis.

Mais les vieux démons n'étaient pas morts et ceux que les urnes ont désignés semblent vouloir, tout comme leurs prédécesseurs, mettre leur emprise sur le pays et ,dès lors, la crainte de l'instauration d'une nouvelle dictature ( peut-être encore pire, car religieuse et obscurantiste) est de plus en plus présent.


La Tunisie dans laquelle je suis arrivée à l'âge de 20 ans en 1969 était un des pays musulmans les plus progressistes de l'époque grâce à son leader Bouguiba, despote lui aussi, mais despote éclairé!
Et, chose la plus remarquable et la plus importante,  la tolérance y régnait.

Moi, l'étrangère que leur fils avait choisi, j'ai été accueillie à bras ouverts par une famille pourtant traditionaliste et religieuse mais très tolérante. Mes beaux-parents auraient pourtant certainement préféré une femme musulmane pour leur fils unique... mais ils ont respecté son choix et m'ont acceptée comme leur fille.

Cela m'a beaucoup aidé à m'habituer et à m'intégrer dans un pays au mode vie totalement différent de celui que je connaissais. Et malgré le déchirement de quitter mon pays d'origine et ma famille, j'ai réussi à faire ma vie en Tunisie. Par respect envers ceux qui m'accueillaient, je me suis pliée à certaines coutumes, même si elles me paraissaient parfois difficiles, mais jamais je n'ai dû renoncer à mes convictions profondes, à ma façon d'être ou de penser. De plus, grâce au régime bourguibien et au code du statut personnel de la femme qu'il avait instauré, j'ai joui depuis mon arrivée d'une aussi grande liberté dans mes choix et mes options de vie que celle que j'avais en Belgique, et ce sans aucune stigmatisation ni remarque désobligeante de quiconque du fait que je n'étais pas de la même religion (j'insite sur ce point!).

Après plus de 40 ans passé ici, je considère que je suis aussi tunisienne que belge et je pensais que je pourrai, après avoir trouvé ma place ici, même si mes racines belges restent profondément ancrées en moi, pouvoir passer la fin de ma vie tranquillement et dans le même esprit de tolérance et de liberté personnelle.

Malheureusement, depuis le résultat des élections, je ressens pour la première fois un climat de suspicion , de mépris parfois de certain(e)s , d'insécurité même.....
Je ne suis d'ailleurs pas la seule dans ce cas. Plusieurs de mes amies européennes, très bien intégrées ici depuis de nombreuses années, ont le même sentiment.
La montée d'un courant islamiste rétrograde et intolérant me fait craindre (pas tellement pour mon avenir qui est plutôt derrière moi à l'âge que j'ai) mais surtout pour mes enfants et petits-enfants un recul de la liberté et de l'ouverture sur le monde extérieur.

Comment peut-on avoir confiance dans un gouvernement et des dirigeants qui mêlent politique et religion?
Comment croire à un islamisme modéré alors que ces hommes et femmes qui vont tenir les rênes du pays laissent sans condamnation des exactions commises par des salafistes, au nom d'une religion mal comprise et mal interprétée ?
Comment peut-on faire confiance à des nouveaux dirigeants qui ont, dans la période transitoire entre leur retour et leur accession au pouvoir, retourné leur veste plusieurs fois ?
Comment croire à leurs paroles lénifiantes et contradictoires alors qu'ils montrent presque tous un appétit dévorant pour le pouvoir?
Comment, dans un pays exsangue économiquement après les pillages des mafieux de l'ancien régime et une année de transition agitée par des grèves incessantes et un arrêt de la production dans beaucoup de secteurs, peut-on espérer un redressement rapide, alors que tous les grands ministères ont été "offerts" à des gens sans expérience et pour certains d'esprit rétrograde et moyenâgeux?

Bref, beaucoup de questions anxiogènes qui minent l'euphorie ressentie après les espoirs engendrés par le printemps arabe!